Discours de Paolo Cerruti - Conférence ABAA
31. octobre 2024 | Montréal, Canada
Le 28 octobre dernier, Paolo Cerruti, cofondateur et président-directeur général Amérique du Nord de Northvolt, a prononcé une allocution dans le cadre de la Conférence internationale sur les batteries au lithium avancées pour les applications automobiles.
Dans le cadre de celle-ci, il a été question de l'importance du projet du Québec dans la stratégie globale de Northvolt en Amérique du Nord, des perspectives de ventes de batteries sur le marché nord-américain ainsi que de l'importance de l'électrification dans la lutte aux changements climatiques. Ci-bas, vous trouverez le discours prononcé par M. Cerruti dans le cadre de son allocution.
Chers invités, Mesdames et Messieurs, bonjour!
Permettez-moi de remercier chaleureusement Karim Zhagib de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui. Karim, je vous remercie pour le travail inlassable que vous avez accompli au cours des 30 dernières années en vue de bâtir l'écosystème des batteries, tant ici au Québec qu'ailleurs dans le monde. Vous êtes un véritable pionnier dans cette industrie, et c'est un honneur d'accepter votre invitation ce matin.
Les dernières semaines et les derniers mois ont été difficiles pour Northvolt. Nous traversons une période cruciale dans l'histoire de notre entreprise et, en Suède, nous avons dû prendre des décisions très difficiles. Le travail est encore en cours et nous n'avons pas encore toutes les réponses. Il y a encore beaucoup à faire. Et nous faisons ce travail, jour et nuit, pour pouvoir revenir avec des réponses à toutes les questions. Cela nous prendra encore quelques semaines.
Bien que nous travaillions d'arrache-pied pour achever les travaux de notre révision stratégique, je peux néanmoins vous dire ceci :
Northvolt est là pour rester... et l'usine que nous construisons ici au Québec est, et restera, au cœur de notre stratégie et de notre succès.
Ce matin, je voudrais prendre un moment pour partager nos réflexions sur l'état de l'industrie des batteries, non seulement du point de vue du marché, mais aussi du point de vue industriel.
La meilleure façon de l'illustrer est de raconter une histoire.
Toutes les technologies disruptives suivent le même chemin. Elle commence par susciter l'enthousiasme. Les attentes augmentent. Les premiers utilisateurs l'adoptent. Puis, vient le "sommet des attentes déraisonnables", où la promesse semble illimitée.
Mais ensuite, la réalité s'impose. La vallée de la désillusion commence. La technologie se heurte à des obstacles auxquels elle n'était pas préparée - des défis techniques, économiques et pratiques. Les gens deviennent sceptiques. Les critiques se font plus vives. Les critiques sont toujours plus fortes, si vous ne l'avez pas remarqué. C'est le moment où certains sont tentés d'abandonner la technologie.
C'est ce que notre secteur vit actuellement. Mais voici la partie cruciale : les vrais innovateurs n'abandonnent pas. Ils ne s'éloignent pas de la vallée de la désillusion. Ils se retroussent les manches. Ils affinent. Ils ajustent. Ils s'adaptent. Et ils vont de l'avant.
Peu à peu, la technologie s'améliore. Nous gravissons la "pente de l'illumination". Des exemples de réussite apparaissent. La confiance revient. Enfin, la technologie arrive à maturité et devient partie intégrante de la vie quotidienne. Tout comme la voiture de Nantucket, qui est devenue essentielle au monde, bien après que Clinton Folger ait conduit la sienne pour la première fois.
Tout comme Clinton Folger a dû faire face à la résistance et au scepticisme, nous nous trouvons nous aussi à un moment critique de la transition énergétique. Nous savons que le chemin à parcourir est semé d'embûches, mais il est aussi plein d'opportunités ; des opportunités qui nous obligent à nous adapter, à innover, à trébucher, à apprendre et à aller de l'avant.
En 2024, les projections concernant l'adoption des véhicules électriques ont été revues à la baisse par rapport à l'année dernière. Nous pensions autrefois qu'en 2030, 46 % des véhicules vendus seraient électriques. Cette année, ces projections ont été ajustées à 42 %, soit un retour aux niveaux de 2022.
S'agissait-il d'un optimisme temporaire ? Peut-être.
Mais la réalité est plus complexe que cela. Inflation persistante. Tensions géopolitiques. Pénurie de talents dans des compétences essentielles. Ces facteurs ont eu un impact sur le marché, de même que les préoccupations concernant l'infrastructure de recharge et la disponibilité des matières premières nécessaires à la production des batteries.
Les fabricants ont alors ajusté leurs prévisions de ventes en conséquence, et les investisseurs, qui surfaient sur la vague de l'optimisme, commencent maintenant à connaître la vallée de la désillusion.
Chez Northvolt, nous avons ressenti cela de manière significative.
Mais ce que ces prévisions ne disent pas, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul marché des batteries. Il y en a plusieurs.
Par exemple, les cellules prismatiques à haute densité énergétique (NMC) devraient être confrontées à un écart important entre l'offre et la demande d'ici 2030. Dans le seul segment de Northvolt, nous prévoyons un écart de 63 % entre la demande et l'offre disponible en Amérique du Nord.
Cela représente une opportunité pour ceux qui sont prêts à construire des giga-usines, à innover et à augmenter la production.
La partie construction, quelles que soient ses complications, n'est pas la plus difficile.
Cela devient vraiment difficile une fois que l'on commence à exploiter et à mettre à l'échelle ces usines massives.
Chez Northvolt, nous le savons pertinemment. Nous le vivons.
Pensez à une salle d'opération.
En chirurgie, il ne s'agit pas seulement de précision ; il faut que tous les membres de l'équipe travaillent en parfaite harmonie - le chirurgien, l'anesthésiste, les infirmières. Le moindre faux pas peut avoir des conséquences mortelles.
La fabrication des batteries s'y approche. Chaque étape est importante. Chaque processus doit être exact, du revêtement des électrodes à l'assemblage des cellules, en passant par la garantie de cycles de charge cohérents. Notre unité de mesure préférée est le micron. Un millionième de mètre. À travers des milliers de variables.
Chaque étape comporte un risque. Cette complexité signifie que le moindre écart peut avoir un effet aggravant sur le rendement. Au fur et à mesure que nous augmentons notre production, le risque d'erreur n'augmente pas seulement - il augmente de façon exponentielle. Une petite irrégularité ou une imperfection microscopique peut compromettre un lot entier. Pour obtenir des rendements élevés, nous devons contrôler ces variables à chaque instant, sans laisser de place à l'erreur.
Comme dans une salle d'opération, il ne s'agit pas seulement de travailler efficacement, mais d'exécuter avec précision, fiabilité et qualité. À chaque fois.
De même, la production de batteries exige des niveaux de précision très élevés.
Cela nécessite non seulement une expertise, mais aussi une intégration profonde des techniques de fabrication avancées, de l'analyse des données et des systèmes rigoureux de contrôle de la qualité. Ces systèmes doivent être affinés, testés et retravaillés en permanence pour répondre à la demande de cohérence et de fiabilité.
Et puis, il y a le coût. Le coût des matériaux est élevé. Chaque échec de production est synonyme de ressources gaspillées, de temps perdu et d'investissements manqués. Chaque étape du processus, de l'approvisionnement en matières premières à l'assemblage final, nécessite une orchestration parfaite des personnes, des machines et de la technologie.
La complexité est comparable à celle de l'industrie des semi-conducteurs. Et comme dans l'industrie des semi-conducteurs, la difficulté implique un risque de développement d'oligopoles, où quelques acteurs contrôlent le marché mondial. Ce qui n'est jamais bon pour le consommateur.
Les entreprises leaders dans la production de batteries, comme celles du Japon ou de la Corée du Sud, ont passé des décennies à affiner ces processus. Pourtant, même pour elles, l'augmentation de la production pour répondre à la demande est un défi monumental qui nécessite des milliards d'investissements et une innovation continue.
Comme si cela ne suffisait pas, nous avons choisi de faire quelque chose d'encore plus difficile.
Nous nous sommes engagés à produire des cellules en Europe et en Amérique du Nord. Et nous nous sommes engagés à produire ces batteries de manière durable.
Pourquoi est-ce si difficile ? Parce que nous assumons des coûts opérationnels plus élevés qu'en Asie, où une grande partie de la chaîne d'approvisionnement est déjà établie.
Nous traçons la voie dans l'Occident, jour après jour après jour.
Nous construisons des infrastructures locales à partir de rien. Nous formons une nouvelle main-d'œuvre, nous établissons de nouveaux partenariats avec des fournisseurs, dont certains sont également nouveaux dans ce secteur. Nous créons une nouvelle industrie à partir du tout début.
Nous le faisons dans les démocraties. Là où, à juste titre, les citoyens posent des questions difficiles et attendent de nous que nous respections les normes les plus strictes.
Mais malgré le coût et la complexité, nous pensons que c'est essentiel. La localisation de la production nous rend moins dépendants de chaînes d'approvisionnement longues et vulnérables. Elle renforce la résilience. Elle renforce la réactivité. Elle renforce la souveraineté énergétique.
Et ce n'est pas tout. Northvolt vise toujours d'obtenir la batterie la plus verte au monde. Northvolt a comme objectif de réduire de 90 % les émissions de CO2 pour les cellules lithium-ion, en utilisant 100 % d'énergie renouvelable dans le processus de production.
En règle générale, environ la moitié de l'empreinte carbone d'une batterie provient de l'énergie consommée pendant la fabrication. L'autre moitié provient des matériaux utilisés. En utilisant de l'énergie renouvelable pour la production, nous avons considérablement réduit l'empreinte carbone.
Il s'agit d'un investissement nécessaire pour l'avenir.
Une véritable transition énergétique doit être réalisée grâce à des sources d'énergie propres et durables.
Nous croyons fermement qu'un monde où la majorité des batteries sont produites à l'aide de combustibles fossiles n'est tout simplement pas la bonne avenue.
C'est pourquoi nous croyons au potentiel de la production de batteries au Québec.
Pour nous, le Québec n'est pas une juridiction comme les autres.
Il s'agit d'une opportunité unique.
L'engagement du Québec envers la mission de Northvolt ne relève pas du hasard ; c'est un partenariat fondé sur des valeurs communes telles que la durabilité, l'innovation et la création d'un avenir plus respectueux de l'environnement.
Et le Québec dispose de nombreux atouts pour y parvenir.
Tout d'abord, l'accès à l'hydroélectricité. La production de batteries est un processus à forte intensité énergétique. Le recours aux énergies renouvelables réduit considérablement l'empreinte environnementale de chaque batterie que nous produisons. C'est une condition sine qua non pour nous. C'est ce que nous avons fait dans toutes les juridictions où nous nous sommes implantés, que ce soit en Suède, en Allemagne ou au Québec.
Il y a aussi la main-d'œuvre qualifiée. La province a une longue tradition de réussite dans des secteurs industriels complexes, de l'aérospatiale à l'énergie en passant par les transports. Cette expertise se traduit par une solide base manufacturière.
D'un point de vue plus personnel, je suis au Québec depuis plus d'un an et je suis très fier de l'équipe que nous avons constituée.
Quand je pense à des personnes comme Angéline Bilodeau, qui a rejoint Northvolt Six en tant que vice-présidente et qui, depuis quelques jours, dirige les opérations de Northvolt en Suède, c'est pour moi un témoignage du grand talent des personnes que nous trouvons ici.
De plus, le Québec abrite un écosystème dynamique au potentiel immense. Nous voulons favoriser la collaboration entre tous les acteurs, car il ne s'agit pas seulement de construire une usine, mais de jeter les bases d'un écosystème industriel.
Mais soyons réalistes. Cela prendra du temps. Le développement de chaînes de valeur dans un nouveau secteur nécessitera des années de travail et des milliards d'investissements supplémentaires. Il faudra des mines, des installations de raffinage... si le Québec veut vraiment se tailler une place dans l'écosystème des batteries. Des investissements comme celui que nous faisons en Montérégie peuvent aider à structurer et même à accélérer certains de ces projets.
Enfin, la situation géographique du Québec offre un accès privilégié au marché nord-américain. Les principaux constructeurs automobiles des États-Unis et du Canada ne sont qu'à quelques heures de route. Cela signifie une collaboration étroite, des livraisons en flux tendu et une réduction considérable des émissions liées au transport.
C'est pour cela que nous avons choisi le Québec, mais ce que nous voulons construire ici est tout aussi ambitieux.
Et nous n'avons jamais cessé d'y croire.
Aujourd'hui, nous avons déjà investi plus de 200 millions de dollars dans des partenariats avec des fournisseurs québécois.
Nous avons 150 employés et 150 ouvriers sur le site chaque jour. Ce sont ces personnes qui contribuent à la mission de Northvolt.
Au cours de l'année écoulée, nous avons rencontré personnellement des centaines de citoyens pour comprendre leurs préoccupations. Nous avons formalisé les processus de responsabilité avec la communauté. Nous avons jeté des ponts avec les groupes de défense de l'environnement et les groupes de citoyens concernés.
Et ce travail de terrain nous a permis de mieux faire comprendre notre projet.
Grâce à ce processus, nous avons pris des décisions importantes. Par exemple, nous avons décidé d'investir dans des tours de refroidissement pour limiter l'apport de l'eau de la rivière Richelieu pour notre premier bâtiment.
Nous avons lancé un vaste projet de conservation de l'environnement, que nous développerons en collaboration avec la communauté et les groupes environnementaux.
Sur le site, les choses se sont accélérées depuis le mois de juin.
Nous avons enregistré plus de 70 000 heures de travail. Nous avons excavé 113 000 mètres cubes de sol et foré 3 000 inclusions rigides.
Notre fournisseur d'acier québécois est à pied d'œuvre pour préparer les 14 000 tonnes d'acier nécessaires à la construction du premier bâtiment. Une partie de cet acier a déjà été livrée. Pour donner un ordre d'idée, le pont Jacques-Cartier compte 15 600 tonnes d'acier.
14 000 tonnes pour une seule usine.
Notre projet ne consiste pas seulement à construire une usine ou à fabriquer des batteries.
Ensemble, nous voulons construire un meilleur avenir pour le Québec. Un avenir qui équilibre prospérité économique et responsabilité environnementale, un avenir où la présence de Northvolt accélère la transition énergétique et la naissance d'industries durables.
Permettez-moi de nous rappeler à tous le chemin que nous parcourons.
Tout comme Clinton Folger s'est heurté à des résistances lorsqu'il a introduit l'automobile à Nantucket, nous nous heurtons nous aussi à des résistances dans cette nouvelle ère de la mobilité électrique.
Défis. Scepticisme. Doutes.
Même au risque de tout perdre.
Mais toute technologie transformatrice est confrontée à ce problème. Chaque voie vers le progrès rencontre une résistance et comporte une dose de risque.
Ce qui définit les vrais innovateurs, ce n'est pas la façon dont ils naviguent dans le succès, mais la façon dont ils persévèrent dans les moments les plus difficiles.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Nous nous trouvons à un moment critique, non seulement pour Northvolt, mais aussi pour l'ensemble du secteur des batteries.
Les décisions que nous prenons aujourd'hui façonneront l'avenir. L'avenir de l'énergie. L'avenir des transports. Et, en fin de compte, l'avenir de notre planète.
Le Québec joue un rôle central dans cette transformation. Ce que nous construisons ici n'est pas seulement une usine. C'est un projet à long terme. Un projet qui nécessite le soutien, la collaboration et la confiance de tous. Des gouvernements. Des partenaires de l'industrie. Des communautés. Et nous savons qu'il est de notre responsabilité de gagner cette confiance.
Ensemble, nous ne nous contentons pas de construire des batteries. Nous construisons un avenir durable.
Mais cet avenir ne se construira pas tout seul. Il a besoin de nous tous. Il nécessite une collaboration. Il faut agir.
Travailler ensemble pour le progrès. Faire du Québec le cœur d'un nouvel écosystème industriel durable.
Merci!